Le livre comme élixir
L’éditeur Pablo Zendrera Tomás est décédé le 6 avril dernier à l’âge de 96 ans. Pendant environ cinq décennies, il a été à la tête de Juventud. Pablo Zendrera a repris le patrimoine éditorial de son père et l’a transmis à ses enfants, faisant office de pont dans une saga qui en est maintenant à sa quatrième génération d’éditeurs. Son principal fait marquant est certainement d’avoir lancé, fin 1957 et début 1958, quatre titres des “Aventures de Tintin”, deux sous le nom de Casterman et deux sous le nom de Juventud. Depuis 1958, toutes les aventures ont été traduites en espagnol par sa sœur Conxita Zendrera – qui a soutenu le projet avec beaucoup de passion dès le début – et en catalan par Joaquim Ventalló.
PABLO ZENDRERA TOMÁS (1924-2020) Éditeur
Pablo Zendrera, décédé le 6 avril à Barcelone à l’âge de 96 ans, semblait non seulement appelé à prendre les rênes de la légendaire maison d’édition Juventud en raison de la tradition qui veut que les enfants prennent le relais de l’entreprise familiale, mais aussi parce qu’il est né à peine un an après sa création. En 1923, son père, José Zendrera Fecha, avait fondé la société en autodidacte, optant pour un profil hétérogène et attentif à la pluralité linguistique du pays : collections d’art, œuvres illustrées pour enfants, la série consacrée aux voyages et expéditions (avec des aventuriers comme Michel Peissel et Thor Heyerdahl), romans populaires, vulgarisation scientifique, biographies... Mais sans aucun doute, la plus grande contribution à la formation littéraire des espagnols a été la bande dessinée de Tintin du Belge Hergé (à partir de 1957 et avec Pablo Zendrera à la barre) et les aventures du Club des Cinq d’Enid Blyton. Editorial Juventud a compris l’importance de créer de nouveaux lecteurs dès l’enfance. D’ailleurs, l’une des lignes les plus réussies a été le roman d’amour, que nous avons appelé “roman rose” parce que c’est ainsi que la maison d’édition l’appelait.
Il a rejoint Juventud en 1945. « Le problème était donc la pénurie de papier, qui se résolvait lentement. Le marché était avide de bons livres, et comme il y avait très peu de concurrence, il était facile de vendre rapidement » se souvient-il. Pendant près de cinq décennies, il est resté fidèle ou a renforcé les thèmes principaux de la société tout en continuant à poursuivre ses propres centres d’intérêts, en se concentrant sur la mer, la montagne et les voyages, tout en favorisant l’exportation du catalogue, avec l’Amérique Latine comme priorité.
La plus grande déception professionnelle est venue de son départ de Juventud en 1995, après une amère querelle familiale. Au moment de son départ, la maison d’édition avait publié près de dix mille titres, en espagnol, en catalan et en galicien. Très vite, il a un autre projet ambitieux en cours : présider le groupe Zendrera, formé par les éditions Noray, Zendrera Zariquiey et Sirpus, dont il confie la gestion, à l’instar de son père, à trois de ses huit enfants. La crise de 2008 a mis un terme à ce nouveau voyage, qui n’a cependant pas fait tomber le rideau, puisque le nom de Zendrera est désormais derrière la maison d’édition Zephyrum et la franchise de librairies low cost Re-Read.
ANTONIO LOZANO, La Vanguardia, 28 avril 2020
Comment Tintin est-il arrivé à Juventud ?
Le cas de Tintin est très curieux. Mon père a rencontré Casterman, l’éditeur de Tintin, lors d’un congrès d’éditeurs à Rome vers 1950. Casterman lui a parlé de Tintin et de ses bonnes ventes en Belgique et en France. Avant d’obtenir les droits, Casterman avait publié quelques titres espagnols pour les vendre en Espagne. Ce fut un échec total. Il a donc proposé à mon père de conserver les exemplaires restants de l’édition qu’il avait faite. S’il acceptait, il lui accorderait les droits de publication. La traduction espagnole a été faite par ma sœur Conxita qui était très enthousiaste.
Tintin a changé la perception de la bande dessinée en Espagne
Cela a coûté cher, car à l’époque, une bande dessinée en Espagne était un produit à bas prix. Il nous a été difficile de convaincre les gens que ce n’était pas la même bande dessinée que d’habitude, que c’était un livre de classe supérieure avec une reliure très soignée. Nous y sommes finalement parvenu. Les ventes ont augmenté jusqu’à devenir un énorme succès. Le meilleur que nous ayons jamais eu.
Et en Amérique ?
Il a fallu beaucoup de travail pour introduire Tintin en Amérique. En fait, c’était difficile partout, mais j’ai fini par convaincre les gens de l’acheter en Argentine et en Colombie.
Référence :
Noms per una Història de l’Edició a Catalunya. Roser Rahola et Pablo Zendrera
Interview de Pablo Zendrera par Jaume Vidal. Publié par le Groupe d’Éditeurs de Catalogne.
2003, Barcelone.